ISTANBUL : metaverse MEgapolis
FR — Ce sur quoi mise un pays, on le découvre généralement en voyant le dispositif publicitaire déployé au sortir de l’avion qui nous y a emmenés. Sitôt rejoint le portique du contrôle des passeports de l’extravagant nouvel aéroport d’Istanbul, le visiteur est invité à investir dans le logement de ses rêves et à s’installer en ville.
La croissance économique fulgurante qu’a connue la Turquie dès les années 2000 s’est considérablement appuyée sur les secteurs de l’extraction minière, de l’industrie des matériaux de construction et sur la promotion immobilière. Depuis, de nombreux projets de gratte-ciel, de centres commerciaux, de complexes locatifs, de lotissements de luxe ou de résidences fermées ont essaimé. Ceux-ci ont métamorphosé la ligne d’horizon de la mégapole stambouliote et durablement changé le mode de vie de ses habitants.
Aujourd’hui, les principaux acheteurs sont des étrangers issus de pays en crise, tels que la Russie, l’Iran, ou l’Irak. Ceux-ci peuvent acquérir la nationalité turque, concédée à partir d’un investissement de 400 000 dollars américains. À grand renfort d’arguments superlatifs, de maquettes et d’images virtuelles, les concepteurs de ces projets déconnectés de leur environnement et de la réalité rivalisent d’intentions afin de promouvoir le modèle d’une vie idéale, standardisée et, ainsi, entretenir la machine qui fait leur fortune.
Seulement, le modèle économique instauré par Recep Tayyip Erdoğan – qui lui a valu l’adhésion et le soutien d’une partie importante de l’électorat national durant plus de 20 ans, malgré des scandales de corruption à répétition – rencontre aujourd’hui ses limites. Celles-ci s’expliquent par une politique monétaire qui donnait la priorité à la baisse du taux d’intérêt directeur pour favoriser les investissements. Cette politique provoque aujourd’hui la chute du cours de la livre turque et génère un niveau d’inflation délétère qui affecte sérieusement le niveau de vie du citoyen ordinaire.
EN — What a country stakes on, we usually discover when we see the advertising device deployed as we exit the plane that took us there. As soon as you reach the passport control gate at the extravagant new Istanbul airport, you are invited to invest in the home of your dreams and move into the city.
The meteoric economic growth that Turkey experienced from the 2000s onwards relied heavily on the mining, building materials industry and property development sectors. Since then, numerous projects for skyscrapers, shopping centers, rental complexes, luxury housing estates and gated communities have sprung up.
Today, the main buyers are foreigners from countries in crisis, such as Russia, Iran and Iraq. They can acquire Turkish nationality for an investment of 400,000 US dollars. Using superlative arguments, models and virtual images, the designers of these projects, disconnected from their environment and from reality, compete in their intentions to promote the model of an ideal, standardized life and thus maintain the machine that makes their fortune.
However, the economic model established by Recep Tayyip Erdoğan - which has earned him the support of a large part of the national electorate for more than 20 years, despite repeated corruption scandals - is now meeting its limits. These limits are explained by a monetary policy that gave priority to lowering the key interest rate to encourage investment. This policy is now causing the Turkish lira to fall and generating a deleterious level of inflation that is seriously affecting the standard of living of ordinary citizens.
Istanbul hors limite
Istanbul n’a de cesse de repousser ses limites géographiques et démographiques. D’abord informelle, la croissance urbaine est progressivement planifiée depuis l’accession de Recep Tayyip Erdoğan au pouvoir. Vitrine de sa «Nouvelle Turquie», l’ancienne capitale impériale est devenue son terrain de jeu où, dans la perspective du centenaire de la République en 2023, s’incarnent ses «projets fous», tel le troisième pont sur le Bosphore, le canal parallèle à ce même détroit ou encore le pharaonique nouvel aéroport, s’attaquant sans répit aux limites écologiques de la ville.
Articles: Clément Girardot, Jean-François Pérouse, Emrah Altinok
Photos : Nicolas Brodard
En Turquie, la fin de l’euphorie immobilière
L’année 2023, centenaire de la République turque, devait être le point d’orgue d’un règne commencé voici vingt ans. Mais ce jubilé est terni par le marasme économique qui affecte le pays. Les destructions massives dans les villes touchées par le tremblement de terre viennent aussi ébranler un des piliers du système politico-économique qui a permis au dirigeant islamo-conservateur d’asseoir son hégémonie: la construction. En Turquie, le bâtiment est depuis longtemps un secteur clé et proche du pouvoir.
Article: Clément Girardot
Photo : Nicolas Brodard